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Bruxelles, ville d’Afrique© : Une « visite guidée » sur les traces de la colonisation belge
©photos Groupe Kuru
Bruxelles, 1995: Virginie Jortay découvre une partie cachée de l’histoire de son pays. La lecture de plusieurs livres lui permet d’ouvrir les yeux sur le passé colonial de la Belgique et d’en trouver des traces, quasi oubliées, mais bien réelles, présentes aux quatre coins de la capitale que le Congo a grandement participé à embellir grâce notamment à l’exportation d’ivoire, de caoutchouc, d’or, de diamants, de cuivre et de cobalt aux dépens bien entendu de la population congolaise par l’entremise de l’esclavagisme et du travail forcé.
L’année suivante, une étroite collaboration naîtra entre Virginie Jortay, le dramaturge Antoine Pickels et Annick de Ville, historienne de l’art qui aura comme rôle d’extraire le passé africain de l’urbanisme bruxellois. Le fil conducteur s’affirme, les personnages prennent formes, les liens apparaissent: ce sera une véritable visite guidée de la ville de Bruxelles qui servira de base à l’histoire de la colonisation du Congo, débutée par le roi Léopold II.
Selon Annick de Ville: Nous avons essayé de déchiffrer dans le tissu urbain la présence ou l’omniprésence de bâtiments qui renvoyaient à des multinationales ou de grandes entreprises (ndlr: par exemple le siège central de la Société Générale de Belgique, rue Ravenstein ou encore celui de la Belgolaise dans le Cantersteen) qui avaient un rôle très important dans l’histoire coloniale…il est apparu que la symbolique de Bruxelles est plus financière que rattachée à des valeurs "universelles"…De la culture africaine il ne reste presque plus de traces, hormis le petit quartier africain "Matongué" (dont l’existence ne doit rien à une volonté politique). Remettre aujourd’hui des mots sur ces faits historiques, est extrêmement important; en Belgique la critique est trop rare; peut-être parce qu’on a peur de casser des choses qui sont déjà trop fragiles…
Le guide de Bruxelles, ville d’Afrique nous fera notament parcourir l’axe royal qui démarre au Palais de Justice (dont les travaux, initiés sous Léopold I, seront terminés sous Léopold II) pour nous mener à la résidence royale de Laeken. Les bénéfices du Congo permettront notamment la transformation du palais de Laeken, la construction de l’arcade du cinquantenaire, de l’avenue de Tervuren, du musée d’Afrique Centrale ainsi que de nombreux autres bâtiments dans la capitale et également à Ostende.
La piéce nous rappelle la participation de la colonie belge à l’effort de la première mais également de la seconde guerre mondiale par l’exportation massive de cuivre, de caoutchouc et d’uranium qui aura servi à l’élaboration des bombes atomiques larguées par les forces alliées pour contraindre les Japonais à capituler. Elle nous remémorera également ces villages congolais exhibés au public lors de l’exposition de 1897, mais aussi plus près de nous en…1958, au Heysel.
Pour cette mise en scène, quatorze acteurs dont la moitié est belge et l’autre moitié congolaise. Ils joueront, entre autres, les rôles du Maréchal (Mobutu), de Stanley, du roi bâtisseur (Léopold II), de la barbichette (Lumumba), du roi à lunettes (Baudouin), de Gemba, Mpeia, Kitukwa, Ekia, Zao, Sambo et Mibange, du nom des Congolais morts à Tervuren en 1897 lors de l’exposition universelle.
Il aura fallu 4 années à V.Jortay et à son équipe avant de lancer la grande première qui eut lieu à Kinshasa au théâtre du Zoo en février-mars 2000. Ensuite, la France et enfin la Belgique avec Bruxelles et Namur en avril ont bénéficié de cette mise en scène.
Voici quelques réflexions des acteurs: Nono Bakwa: C’est une expérience…édifiante. Trouver un terrain commun pour des émotions européennes et africaines n’a pas toujours été facile…c’est finalement un spectacle "compromis" entre deux cultures…Dominique Tack: …Le fait de travailler à Kin, qu’il fasse chaud, qu’on nous demande sans cesse de l’argent dans la rue, nous a fragilisés, et il m’a semblé que dans cette fragilité, le rapport à l’autre a été plus juste: les comédiens congolais nous conseillaient, ils étaient comme des grands frères… Pour Mitendo Lusela: J’espère réellement que d’autres projets de ce type se développent…C’est une façon de dire aux Belges: nous avons une histoire commune, venez, on communie .
Ventouse Mbala: Et cela m’a touché que ce texte ait été écrit par un Belge…Il ne s’agit pas de justifier ou d’accuser, mais d’exposer des faits. Il faut prendre conscience totalement du passé afin de pouvoir préparer l’avenir. Pascal Crochet: …ce qui fut très troublant, c’était qu’à certains moments, je me voyais blanc jouant le blanc, face à un Congolais jouant le Congolais-un drôle d’effet de mise en abîme. Enfin Katanga Mupey: Quand je sortais de scène, que je rentrais à la cité, je voyais la marque de la colonisation, et la manière dont les mêmes rôles étaient aujourd’hui joués par d’autres…une histoire de classe qui n’est pas près de finir.
Le site de Bruxelles, ville d'Afrique