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Troisième partie: Travail forcé pour l'or (1)

photo: alluvions aurifères, source: Travail forcé pour le cuivre et pour l'or, Jules Marchal

En juin 1908, après la suppression de la Fondation de la Couronne, qui bénéficia de l’or de la zone du Haut-Ituri, dont la présence fut mise en évidence en 1903 par l’Australien Robert Hannam et exploité à partir de 1905, l’ingénieur Emile Braive assura la direction de l’activité minière, située à l’ouest du Lac Albert et dont les voies d’accès se faisaient préférentiellement via l’Ouganda. Cette activité dépendait directement du ministre des colonies, Jules Renkin, puisque l’État Indépendant du Congo devint le Congo belge en novembre 1908.

Initialement, la main-d’oeuvre des mines provenait de recrutements forcés, entrepris ailleurs dans la Province Orientale, d’où les hommes étaient amenés enchaînés sur les chantiers. Dès 1907, l’officier belge Vanmarcke de Lummen, à la tête d’une garnison de la Force Publique, assurait le recrutement dans cette région minière. Les populations durent également fournir la nourriture nécessaire à la subsistance des forçats.

Pour sa part, Braive envoyait des surveillants armés, qui étaient souvent d’anciens militaires, dans les villages avoisinants de manière à s’accaparer le butin humain et matériel que le fonctionnement des mines requérait. D'autre part, des primes étaient versées aux chefs africains et ceux qui résistaient étaient destitués et remplacés.

Comme partout ailleurs, de vives résistances s’organisaient et s’opposaient aux méthodes utilisées par l'administration coloniale. C’est ainsi qu’en 1912 et en 1913, des représailles furent menées contre les Mamvu et les Walese dans la région située entre les mines de Kilo et de la Moto. Ces tueries se soldèrent par la mort de centaines de Congolais et aboutissaient à la réorganisation des chefferies de manière à obtenir leur collaboration.

En effet, Josué Henry, commissaire général de la Province Orientale, donnait les ordres suivants en août 1912 : « L’opération militaire est exclusivement dirigée contre les fauteurs de désordre. Le commandant des troupes en persuadera bien les indigènes et observera scrupuleusement à leur égard les prescriptions réglementaires. Il fera tout son possible pour les grouper en villages et les persuader que ce qu’il attend d’eux, c’est l’ordre, la paix, le respect des lois de la colonies qui sont douces, bienfaisantes, protectrices des droits de chacun.

Les fauteurs de désordres seront attaqués avec énergie partout où il sera possible de les rencontrer. Les indigènes seront prévenus de cette prescription formelle afin qu’ils sachent quel péril ils encourent s’ils, soit par crainte, soit pour tout autre motif, pactisent avec ces individus. Le commandant de la colonne expéditionnaire s’attachera à persuader les natifs, par les exemples du passé, que les forces de la colonie sont irrésistibles et que qui veut vivre hors la loi sera châtié; que la colonie les a délivrés de l’esclavage, qu’elle les protège contre toute oppression, rapine ou vol; qu’elle leur a assuré la grande tâche de leur assurer la liberté ainsi que la jouissance complète de leurs biens et du produit de leur travail. »

Une minorité de ces travailleurs étaient des réguliers, des hommes qui ne voulaient pas retourner là où ils avaient été recrutés. Les autres formaient le groupe des auxiliaires ou temporaires, qui étaient des travailleurs régulièrement remplacés. Beaucoup d’entre eux désertaient. En 1912, les mines du Haut-Ituri utilisaient environ 2 500 hommes sur ses chantiers. Ce n’était pas le salaire de misère qui incitait ces travailleurs au rendement, mais bien l’usage de la chicotte que les agents des mines, en tant qu’agents de l’Etat, avaient le pouvoir d’appliquer à leurs ouvriers considérés comme travailleurs du dit Etat. Ce pouvoir leur avait été expressément confirmé par les ordonnances du gouverneur général de 1910 et 1911.

En juillet 1913, le consul de Belgique, Vincent Ernst de Brunswick, constatait notamment que « …Le travail des mines entraîne nécessairement des accidents et des maladies. Malgré cela, il n’y a pas d’hôpital à la Moto et ce qui est plus fort, il n’y a pas de pharmacie et les médicaments font défauts…Les indigènes dans les villages font remarquer que les décès sont trop nombreux …». Les ouvriers pouvaient être accompagnés de leurs femmes, qui leur préparaient et leur apportaient leur nourriture sur les chantiers. Celles-ci étaient également forcées à travailler aux cultures sous peine d’emprisonnement.

Le portage, exécuté sur des distances exigeant plusieurs jours de marche, assurait la livraison des vivres aux mines. C’est ainsi qu’en 1913, l’agent territorial Jean Stöcker signalait qu’au mois d’avril, 60 tonnes de vivres étaient fournies aux mines de la Moto par des villageois.

En septembre 1913, le procureur du roi, Luigi Rossi, décrivait la situation aux mines de la Moto comme étant non conforme aux lois: « Les vivres sont imposés, on oblige les femmes à travailler sans contrat, les travailleurs sont recrutés de force et envoyés par leurs chefs sous la menace d’emprisonnementLes chefs sont menacés de relégation s’ils ne fournissent pas travailleurs et vivres aux mines »

Entre 1909 à 1912, ces hommes allaient extraire plus de 3 000 kilos d’or des mines de Kilo-Moto et 5 285 kilos d’or entre 1913 et 1916. A raison d’un maximum de 5 grammes d’or par mètre cube de graviers alluvionnaires, il était nécessaire d’en traiter au minimum deux cent milles mètres cubes pour produire une tonne d’or.

L’inspecteur du service de l’industrie et du commerce, Maurice de la Kethulle, après avoir visité les mines de la province, écrivait dans son rapport en 1915 ces quelques notes à propos de la condition des femmes des travailleurs et du recrutement : " [les ennuis qui résultent de la prostitution] justifient ceux-ci [les directeurs des entreprises] à tendre dans la mesure du possible à faire travailler les femmes aux plantations vivrières. À Kilo, à la Nazi, à la Moto, on tâche de persuader les femmes de prendre un engagement pour le travail aux plantations…Le salaire qu’on leur paie n’est pas un placement productif, j’en conviens, mais j’estime que le travail des femmes est un remède préventif de l’immoralité et qu’il importe peu que ce remède coûte quelques francs par jour…

…L’embauchage des noirs y est tout sauf volontaire. Périodiquement les chefs territoriaux sont invités à procurer un certain nombre de travailleurs à Kilo. L’on réparti les contingents à fournir entre les chefs indigènes. Ceux-ci ont soin de ne pas consulter leurs administrés, mais choisissent parmi eux ceux qu’ils aiment le moins et redoutent le plus, et les mènent la corde au cou au poste. Ici, l’agent du poste les garde quelques jours en attendant que l’effectif soit complet, et leur fait faire, toujours à la chaîne, différents travaux d’entretien. Une fois complété, le détachement est expédié toujours corde au cou et sous escorte à Irumu. L’on enlève la chaîne par crainte du parquet une fois que l’on a passé le Lohali [Ituri]…Et voilà les engagés "volontaires" rendus à Kilo conformément aux usages…

À propos de l’immoralité, le contrôleur des mines, Hector Maertens, qui allait faire cesser le travail des femmes aux cultures des mines, rédigea ces lignes à la même époque:" Je désire qu’une enquête administrative ait lieu afin de connaître tous les faits et exactions reprochés à certains blancs contre des femmes des travailleurs. Il faut absolument que les blancs des camps cessent d’abuser de ces femmes, qu’ils doivent respecter…Je sais que le groupement de femmes [aux cultures vivrières] n’était en somme qu’un moyen déguisé pour satisfaire les désirs malsains de certains blancs. Je désigne spécialement à votre attention Vanboom et Bulens…

…Quand on voyage dans les régions des mines on retrouve partout cette immoralité bestiale et on a l’impression de se trouver dans un immense camp de prostitution et de débauches. La faute initiale d’une situation aussi déplorable, est l’exemple donné par les blancs et ce depuis le haut jusqu’au bas de l’échelle hiérarchique."

Dans un autre rapport, le même Maertens écrivait au sujet du comportement de certains colons à l’encontre des Congolais: "…Un chef blanc, brutal, débauché, buveur, l’accablera [le forçat] du matin au soir d’injures, de menaces incessantes. Il attrapera une calotte par ici, un coup de poing ou de pied par là, qui l’étalera par terre. Si son âme révoltée ou ses membres endoloris se refusent au travail, c’est la chicotte, car la plupart de nos blancs ne discernent pas la différence entre un homme malade et une mauvaise tête…"

Et des Congolaises: "...S’il est accompagné de sa femme, et que celle-ci a quelques attraits, elle sera vite l’objet des convoitises bestiales du blanc. S’il ne consent pas librement à la lui céder, il sera l’objet de poursuites tracassières, s’il ne tombe pas sur un Bulens [Arnold, engagé en 1907 aux mines comme éleveur-cultivateur], qui entraînera la femme dans la brousse à quelques mètres du mari, pendant que celui-ci, sur l’ordre du blanc, est maîtrisé par un " soldat", gardien de l’ordre sur les chantiers…

…J’ai dénoncé ces faits à la justice qui a prononcé un non-lieu prétextant que la brousse…n’était pas un lieu public. Lorsque le malheureux allait se plaindre à la direction, on le fourrait dans le cachot et, s’il récidivait, la chicotte se chargeait de le faire rentrer dans l’ordre normal des choses…

En ce qui concerne les forçats, Maertens notait que :  « Parmi les recrues amenées de force au travail il y a les intrépides qui prennent le risque de se sauver plutôt que de subir les exactions en faveur du travail. Il y a les peureux qui savent que s’ils s’évadent, ils seront traqués à travers tout le pays par des « soldats » armés dont la brutalité est proverbiale. Ils ont vu des exemples de déserteurs à leur village qui furent l’objet d’une chasse à l’homme vraiment écoeurante…ces gens se résignent au travail forcé la haine au cœur. »

En mai 1916, Edmond Leplae, directeur général de l’Agriculture au ministère des colonies, écrivait ceci, au sujet de la situation dans l’Ituri, au ministre Renkin:

1)… Afin de faciliter la collecte de l’impôt, l’entretien de la route, et le recrutement forcé de travailleurs pour les mines et de porteurs, les villages sont déplacés de force, sans aucun délai et ménagement, et établis le long de la route. Aucune précaution n’est prise pour choisir des emplacements convenables ayant des terrains fertiles; aucun délai raisonnable n’est accordé. Si les indigènes résistent, on brûle les villages, et au besoin on tue les récalcitrants…

2) …Certains indigènes, après 9 ou 10 ans de travaux forcés dans les mines, n’ont pu rentrer chez eux qu’en se faisant remplacer par un de leur fils. Un magistrat est passé il y a quelque temps par Kilo et a fait mettre en liberté quelques-un de ces esclaves…

3)…Les indigènes n’ont pas seulement à payer l’impôt et à fournir des travailleurs et des porteurs, mais on les oblige encore à cultiver et à apporter aux endroits désignés, souvent à grande distance de leurs villages, les grandes quantités de vivres nécessaires aux travailleurs des mines…

5)…L’impôt est exigé avec la dernière rigueur, même des populations qui n’avaient jusqu’ici reçu que rarement la visite des blancs et n’avaient jamais payé l’impôt… On ne s’est pas contenté d’exiger l’impôt de l’année courante, mais on a fait payer l’impôt de 2 ans et dans certains cas même de 3 ans…Cette façon brutale d’imposer brusquement à une population encore mal soumise des contributions aussi exagérées devait inévitablement provoquer des conflits. Les protestations ont été suivies de violence. Des indigènes Lendu ont un jour brûlé les livres d’un agent. Bref, on est arrivé à une expédition militaire pour réduire ces soi-disant révoltés…

6)…Cette opération militaire a été conduite par deux blancs MM. X et Y qui se sont fait assister par le chef Goli...qui dispose d’un certain nombre de soldats armés de fusils. L’un des deux blancs est assez clément, mais l’autre, M. X, un tout jeune homme arrivé dans la région il y a un an et demi, probablement désireux de faire du zèle et de mériter une promotion, a la triste réputation de tuer beaucoup d’indigènes. De plus le chef Goli n’épargne pas ses frères de race, il brûle des villages et amène des prisonniers…

7) Quant au respect des droits des indigènes, il est nul. J’ai rencontré moi-même sur ma route plusieurs cas forts caractéristiques: vols de femmes par des noirs, enlèvements de négresses par des blancs, vols commis chez des indigènes le long de la route par les maîtresses noires des blancs…

…Il est très facile de vérifier ces faits, qui paraissent connus de tout le monde et ne semblent émouvoir personne. Tuer des nègres paraît être une peccadille, voire un fait méritoire…[Il compare ensuite la colonie belge avec une colonie anglaise] on ressent la plus douloureuse indignation en voyant comment agissent ceux qui représentent dans la région de Kilo notre peuple belge. Je voulus cependant me renseigner plus complètement et chercher à savoir comment il était possible que de pareils faits soient commis par notre administration, composée en majeure partie de compatriotes. J’en arrive à conclure que ces faits doivent être attribués aux conditions suivantes:

  1. Les agents de l’État… manquent absolument de préparation et d’éducation. Ils sont venus au Congo pour la plupart avec le grade de sous-officier. Les plus anciens ont fait leur éducation coloniale lors du régime du caoutchouc et tout naturellement ils inclinent à employer les mêmes moyens qu’autrefois. Quant aux jeunes et c’est là chose éminemment regrettable, ils se conforment aux idées courantes et se modèlent d’après les idées de leurs supérieurs…
  2. Les instructions du gouvernement sont considérées non seulement comme impératives mais comme devant être appliquées par tous les moyens…
  3. On applique mécaniquement les règlements…Il [le commissaire de district] attend tranquillement dans son bureau que le commandant des troupes lui fasse savoir que les indigènes sont pacifiés, c'est-à-dire terroriser …"

Leplae conclut son rapport en notant: "qu’il est inadmissible que l’on continue au Congo à tuer des indigènes comme de vulgaires animaux...[et] notre administration ne peut donner prise à critique en appliquant des méthodes dignes du Moyen Âge…Après les engagements formels qui ont été pris au Parlement par les plus hautes autorités de la Belgique, et par Sa Majesté le Roi lui-même, il n’est plus admissible qu’un régime pareil subsiste à Kilo, ni dans aucune partie de la colonie". Plus tard, le même Edmond Leplae introduisit la culture obligatoire du coton, qui fut un véritable calvaire pour les populations congolaises.

Ce virulent rapport n’eut que très peu d’impact au Congo : le vice-gouverneur f.f. de la Province Orientale, Alexis Bertrand, fut tenu pour responsable de ces abus par le Gouverneur Général Henry sans qu’il ne fût officiellement sanctionné.

Par l’arrêté royal du 29 décembre 1919, ces mines furent constituées en Régie Industrielle des mines de Kilo-Moto (RIM), véritable entité autonome et indépendante du gouvernement belge, dont l’intégralité des bénéfices nets était versée au trésor colonial. La gestion de la régie fut confiée à un comité, qui exerçait sa fonction de Bruxelles et qui fut constitué de coloniaux et d’anciens coloniaux de l’Etat Indépendant du Congo. Suite à cette réforme, en mai 1920, le Gouverneur Henry écrivait au ministre Franck, que dorénavant le rôle l’administration coloniale était donc de veiller à l’application de la réglementation prescrite par le susdit comité.

Avec de telles décisions, la situation des travailleurs ne pouvait évoluer positivement. C’est ainsi qu’Adolphe Demeulemeester, nommé vice-gouverneur à la place de Bertrand, constatait un usage abusif du régime de la chicotte dans la région minière de Kilo. En effet, des statistiques (voir le tableau qui suit) pour le moins lugubres, calculées par l’ingénieur Robert Monti, nous montrent que le rendement des forçats était fonction du nombre de coups de chicotte, qui leur étaient administrés. De plus, l’octroi aux Européens de primes, qui étaient proportionnelles au volume de gravier traité par homme et par jour, contribua certainement à aggraver la condition déjà fort peu enviable des travailleurs africains.

Tableau comparatif des coups de chicotte,

du rendement exprimé par rapport à la tâche et des désertions

Trimestre/année

Coups

Rendement

(% du dépassement de la tâche)

Désertions des réguliers

Désertions des auxiliaires

 

 

 

 

 

I/1919

1530

0,70

57

-

II/1919

?

0,72

64

555

III/1919

3416

0,74

-

429

IV/1919

7145

0,82

82

909

I/1920

11473

0,82

68

567

II/1920

15106

0,97

227

909

A noter qu’il s’agit uniquement des coups infligés aux travailleurs dits réguliers. Néanmoins, les travailleurs dits auxiliaires n’y échappaient pas, si on se réfère au nombre de désertions.

Le président du comité de la RIM, le vice-gouverneur général George Moulaert, qui séjourna dans les mines durant le second semestre 1920, avait pris certaines mesures pour tenter de réduire le nombre de désertions. Il fit réduire les primes des chefs de camps et leur supprimait le droit d’appliquer la chicotte. Ces derniers avaient néanmoins réagi en menaçant de faire grève. Pour les mater, Moulaert réquisitionna un détachement de la force publique, qui était équipé de mitrailleuses.

Il renforça ensuite considérablement l’effectif militaire présent dans la région en se justifiant au ministre de la manière suivante : «…aucune œuvre de colonisation européenne n’est possible, si le gouvernement n’obtient pas d’abord la soumission des populations. Cette soumission exige : un nombreux personnel et d’importantes forces de police ».

A la suite de cette occupation militaire, les effectifs des mines de l’Ituri et du Haut-Uele avaient augmenté de 7 500 travailleurs en 1921 à 17 500 en 1924, dont 9 000 auxiliaires, servant théoriquement 2 mois, et 8 500 réguliers, ce qui représente un chiffre d’environ 80 000 hommes enrôlés pour les mines en 1924, en tenant compte des déserteurs.

Consécutivement à l’abolition des textes l’autorisant (ordonnance du 19 novembre 1924), la peine de la chicotte réapparut sous une autre forme. En effet, dès 1925, elle n’était plus appliquée sur ordre des agents des mines, mais uniquement sur ordre des territoriaux-juges, qui condamnaient à la prison les déserteurs et les soi-disant récalcitrants. En leur qualité de gardien de prison, ils pouvaient faire appliquer la peine de la chicotte avec un maximum de 12 coups par jour et par homme.

Par décret du 8 février 1926, la RIM devint une société privée, baptisée Société des Mines d’Or de Kilo-Moto (SOKIMO). Cette année se caractérisait également par le développement de conflits d’intérêts entre la SOKIMO et les colons, qui trouvaient plus rémunérateur de produire du café que des vivres. De plus, les plantations de café nécessitaient énormément de main-d’œuvre. Afin de préserver le recrutement pour les mines, Moulaert obtint du ministre le blocage de l’octroi de nouvelles concessions agricoles aux colons en zone minière à partir de 1927.

En réaction, les colons publiaient le 27 mai 1927 dans leur organe mensuel La Mukanda Congolaise, un article intitulé Coloniser dont voici quelques extraits :  «… Sait-on à Bruxelles que l’Ituri se dépleupe d’une façon rapide ? C’est par milliers que les indigènes des régions frontières s’expatrient chez lez Anglais…ces populations se sauvent pour ne pas être sollicitées volontairement, avec le fouet au derrière et souvent la corde au cou, à aller travailler aux mines de Kilo-Moto…Sait on à Bruxelles que les agents territoriaux ont pour unique besogne la mission de forcer les chefs indigènes à faire travailler leurs administrés à des cultures vivrières pour les besoins des mines ? Toutefois le gouvernement a pris des mesures sévères pour empêcher ces émigrations en masse, il a établi aux frontières des forces militaires imposantes…Ce sont des mesures efficaces pour empêcher le dépeuplement de la colonie et garder des esclaves en suffisance pour les mines de Kilo-Moto… »

Le mois suivant, le ministre des colonies, Jaspar, envoyait une copie de cet article au gouverneur général avec les instructions suivantes : « …quelle que soit l’exactitude ou la valeur des griefs formulés, il importe que le gouvernement ne puisse être soupçonné un seul instant de tolérer une situation comme celle incriminée dans les colonnes de La Mukanda…Je vous prie de m’informer le plus complètement possible sur l’objet de la présente et de me mettre en mesure de rétablir la vérité en ce qui concerne la situation à Kilo ». Curieuses instructions, présumant que les allégations de La Mukanda étaient vraies, tout en exigeant une information démontrant leur fausseté.

Les rapports annuels de 1928 de différentes missions des pères blancs confirmaient une émigration importante vers l’Ouganda. Tandis que le rapport de 1928 de la Force Publique signala l’établissement d’un cordon sanitaire à la frontière de l’Ouganda, et celui de 1929 détailla l’exécution des mesures prises contre l’émigration des autochtones.

Contrairement à ce qui se passait dans la province du Katanga, la dépression des années 30 n’apportèrent aucun soulagement à ces populations. La demande en or étant importante, l’effectif des mines allait doubler de 1930 à 1939, passant de 20 000 à 40 000 hommes.

Pendant la seconde guerre mondiale, la production s’intensifiait. Le 9 mai 1942, le gouverneur général Ryckmans signa une ordonnance, qui permettait de maintenir indéfiniment au travail tout homme oeuvrant dans les mines, les entreprises industrielles et agricoles. Le 1er février 1943, une seconde ordonnance permettait, quant à elle, de réquisitionner tout Congolais pour le travail des mines et des entreprises. Une troisième ordonnance, datant du 15 juin 1944, autorisait la réquisition des Africains pour des travaux en dehors des limites de leur province, situation qui aboutit à de véritables déportations de travailleurs.

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(1) Ce résumé de la seconde partie du livre de Jules Marchal, Travail forcé pour le Cuivre et pour l'or, L'Histoire du Congo 1910-1945-Tome 1, éd.Paula Bellings, Borgloon (Belgique), 1999 a été réalisé par Jean-Marc Ackermans & Patrick Cloos pour www.cobelco.org (2002)