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Questions aux écrivains

 

 

Boris Wastiau (1)

CoBelCo : Pouvez-vous, brièvement, retracer l'évolution des différents courants qui ont marqué le musée d'Afrique Centrale de Tervuren depuis sa création fin du XIXème siècle jusqu’à nos jours. (photo: ©Musée royal de l'Afrique Centrale. Dilolo, 1931, masques pour l'initiation de la mukanda)

Boris Wastiau : Dans sa phase initiale, à partir de 1898, le musée a acquis des collections dans tous les domaines des sciences naturelles et humaines à un régime élevé, tout en définissant sa structure de fonctionnement et ses objectifs. Des années 1920 à 1960, la structure du musée, véritable institut de recherches doublé d’une fonction de propagande coloniale s'est peu modifiée. À partir des années 1950 se développe l’intérêt pour l’art africain qui, peu à peu, vole la vedette aux autres disciplines dans les expositions. À l’indépendance des colonies, ce qui était le Musée royal du Congo belge devient le Musée royal de l'Afrique centrale. Depuis, les activités scientifiques qui y sont menées se sont diversifiées et plusieurs approches muséologiques ont été testées, sans toutefois qu'une mission globale claire soit définie pour l'ensemble des expositions.

CoBelCo : Pourquoi ce musée est-il « un lieu de fausses mémoires »? À l'opposé, que faudrait-il entreprendre pour qu'il se transforme en « un lieu de vraies mémoires »?

BW : Principalement, parce que les collections qui y sont présentées au public et la manière dont elles le sont, ne correspondent plus aux idées ni aux réalités contemporaines. Les salles permanentes présentent une accumulation, je dirais une stratification, de décennies de pratique muséologique dans lesquelles aujourd'hui pratiquement personne, au musée comme ailleurs, ne se reconnaît. La muséologie actuelle, telle qu'elle existe, continue cependant à marquer des gens et à transmettre certains clichés au sujet de l'Afrique, de ses habitants et du passé colonial. Cette situation est depuis longtemps mise en cause et ne saurait tarder à évoluer.

 CoBelCo : Peut-on avancer l'idée de « mémoire » de la colonisation belge du Congo alors que l' « Histoire » n'est pas reconnue et très peu abordée, voire enseignée, en Belgique. En résumé, ne faudrait-il pas, dans un premier temps, passer par une reconnaissance, par des débats publics à ce propos, et par motiver l’importance de cette démarche parmi les Belges?

BW : Je ne connais pas les programmes de cours actuellement en vigueur dans les écoles du pays. Personnellement, il est vrai que j’ignorais pratiquement tout de la période coloniale avant d'entamer des études universitaires. D’une manière générale, on peut dire que les gens sont peu informés. Je ne peux que me réjouir du débat grandissant autour de ce que l'on appelle aujourd'hui le « devoir de mémoire ». Une des suggestions de l'exposition ExItCongoMuseum était que l’histoire des objets d’art présentés faisait autant partie de l’histoire des Belges que de celle des Congolais. Nous avons une bonne tranche d’histoire en commun, que nous devons apprendre à connaître sans nous voiler la face et dans un esprit d’ouverture.

CoBelCo : Aura-t-on un jour un musée à la fois lieu de mémoires et d'histoire ?

BW : C'est possible. Cela dépendra de tous les acteurs en présence. Cela n'arrivera que si une dialectique s'établit entre cette mémoire et cette histoire, entre historiographie et vécu.

CoBelCo : Est-ce que les Belges sont intéressés par le passé colonial de leur pays? Si non, pourquoi à votre avis, et que faudrait-il entreprendre pour qu'ils le deviennent?

BW : Je crois que le public est généralement fort intéressé par le passé colonial. La question qui se pose est de pouvoir multiplier pour lui les moments et les espaces critiques autour de ce sujet.

CoBelCo : De quelle manière le musée a-t-il participé à construire l’image stéréotypée de l'Africain ?

BW : Comme tous les musées ethnographiques contemporains, le musée de Tervuren, à l'époque coloniale, contribuait, en toute bonne foi souvent, à la diffusion de stéréotypes et de préjugés concernant le Congo et ses habitants. Ces grands « musées des colonies » servaient avant tout à redéfinir l’identité –civilisée- des pays colonisateurs

CoBelCo : À l'opposé comment peut-il participer à renverser la tendance? Est-ce qu'il y a aujourd'hui le désir de travailler dans ce sens ?

BW : Le musée peut devenir un espace critique de discussion et de rencontre. C'est en tout cas la volonté d'un nombre croissant d'anthropologues, d'historiens et d'artistes à l'intérieur de l'institution comme à l'extérieur, en Belgique, comme ailleurs. ExItCongoMuseum constitue un premier exercice dans cette voie.

CoBelCo : Le fait de ne faire aucune (ou rarement) référence au créateur (congolais) d'une oeuvre, n'a-t-il pas fait partie d'un processus de déshumanisation de l'Africain ?

BW : Certainement. L’art africain était autrefois considéré comme, et exclusivement, l'expression d’un inconscient collectif, celui de ce qu'on appelait la « tribu », et non pas comme l'expression d'individus autonomes et pensants. Bien sûr, l'artiste africain n'est (et n'était) ni plus ni moins que « le produit de sa société », tout comme l’est l’artiste occidental.

CoBelCo : La classification (ou catégorisation) a été très méthodologique lors de la colonisation aussi bien dans la colonie qu'au musée. Pourtant, comme vous le dites c'est ignorer le processus dynamique de ces sociétés dont les mouvements perpétuels vont à l'encontre de cette approche fort rigide. Est-ce qu'il existe aujourd'hui une tendance, parmi les dirigeants du musée, à revoir cette position?

BW : Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un problème lié historiquement aux dirigeants, comme vous dites, mais plutôt aux praticiens qui, de manière quotidienne, ont élaboré et mis en application ces complexes classifications, de la récolte sur le terrain au rangement dans les armoires et les vitrines, des catalogues inventaires aux publications pour le grand public. Le musée, les collections, leurs logiques, leur classement, les types de présentation, la structure des inventaires et des archives, tout cela constitue un « héritage » que l'on ne peut faire disparaître d'un coup de baguette magique. Cela n'est d'ailleurs pas désirable. Il est avant tout nécessaire d'étudier ces logiques et ces formes héritées du passé, et de les présenter d'une manière critique et transparente au public.

© photo: C.I.D (Le directeur du musée royal du Congo belge, F.Olbrechts, présentant des "bustes de types indigènes moulés sur le vivant" à une délégation congolaise en 1953)

 

 

 

 

 

 

CoBelCo : À Paris, « l'Hottentot Vénus » a été retirée d’une des salles d'exposition du musée de l'homme en 1985 ; qu'en est-il des "bustes de types indigènes moulés sur le vivant" du musée de Tervuren?

BW : Ces bustes, et leur importance dans le « programme sculptural » développé dès les premières années d'existence du musée, font actuellement l'objet de critiques acerbes, qui sont très raisonnées et très probantes (notamment B. Saunders et W. Morris). Néanmoins, les faire disparaître purement et simplement, ne serait pas une solution. Autant alors faire disparaître tout le musée ! Ils en font partie intégrante. Au contraire, il est nécessaire de les montrer sous un autre jour, de manière critique et transparente, tout comme il faudrait le faire pour toutes les collections du musée.

CoBelCo : Quelle est la différence entre les concepts «Art primitif» et «Art premier» ?

BW : Si «Art primitif» sonne aujourd'hui assez faux, le concept d' «Art premier» est sensé plus respectueux des cultures d'expression auxquelles il se rapporte. Mais il serait « premier » par rapport à quoi ? Par rapport aux « derniers », comme le suggérait récemment le titre d'une exposition. C'est encore une fois projeter l'autre, dont nous voulons nous approprier les formes esthétiques, dans le passé. Ceci dit, « Art primitif » reste un des termes les plus usités, par exemple parmi les « connaisseurs ».

(1) Boris Wastiau est le commissaire de l’exposition ExitCongoMuseum et l’auteur de : Un essai sur « la vie sociale » des chefs d’oeuvre du musée de Tervuren , Musée royal de l’Afrique centrale, Belgique, 2000.

Sur l’internet : http://exitcongomuseum.africamuseum.be

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