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La participation congolaise à la seconde guerre mondiale: bien plus qu'une question d'anciens combattants, Patrick Cloos

Vous pourrez lire plus bas l'article du journal Le Soir, au titre décidément bien paternaliste, qui traite de la question des pensions des anciens combattants congolais, et pour suivre, la réaction du ministre Flahaut. Mais avant tout, il est intéressant de faire un petit tour en arrière pour se rendre compte que la participation congolaise durant la seconde guerre mondiale est très loin de se limiter à celle des combattants congolais - qui furent selon Ndaywel è Nziem (1998) plus de vingt mille dont plusieurs milliers de porteurs - qui allaient, en 1941 avec les Anglais, défaire les Italiens en Éthiopie et ensuite participer à plusieurs corps expéditionnaires en Afrique de l'Ouest et au Moyen-Orient. En effet, dans son introduction au Recueil d'études Le Congo belge durant la seconde guerre mondiale, Jean Stengers (1983) écrit ceci: «pour le gouvernement belge de Londres, et par conséquent pour la Belgique elle-même, le Congo a constitué, faut-il le dire, un atout formidable. Du point de vue financier, par exemple, c'est le Congo qui a fourni au gouvernement les ressources nécessaires à son action. Près de 85% des ressources dont le gouvernement belge a disposé durant la période où il fut installé en Angleterre lui vinrent du Congo, sous forme d'escompte de Bons du trésor par la Banque du Congo Belge. D'une manière générale, le poids de la Belgique dans la guerre a été très largement le poids du Congo». Qui plus est, l'historien belge indique, comme de Saint-Moulin dans le même recueil, que l'effort de guerre, entre autres par l'entremise de l'augmentation de la production de cuivre, de zinc, d'étain, de bois, de caoutchouc et de copal (principalement en direction de l'Angleterre et des États-Unis) -, a été très éprouvant pour la population congolaise: plusieurs révoltes ont d'ailleurs éclaté pendant cette période, faisant des centaines de morts parmi les Congolais. Il apparaît également que le taux d'accroissement de la population diminua de 1941 à 1944 (de Saint-Moulin, 1983, p.25). Voilà pour la question de contexte Mr. le ministre Flahaut.

«Nos «Indigènes» reconnus?», Le Soir 28.09.2006 (p.16)

«La sortie du film Indigènes, qui a provoqué la revalorisation des pensions des combattants français des DOM-TOM (voir ci-dessous), pourrait bien avoir un effet similaire en Belgique. Mercredi, l'ancien sénateur Georges Dallemagne (CDH) a emboîté le pas à Jacques Chirac en exigeant du gouvernement belge que les anciens combattants congolais ayant servi la Belgique « soient traités avec la dignité qu'ils méritent » et perçoivent une pension à ce titre. Durant la Seconde Guerre mondiale, quelque 10. 000 Congolais avaient combattu pour notre pays.
Georges Dallemagne, revenu il y a quelque temps sur la scène politique belge après un séjour au Cambodge pour un projet de coopération, se défend d'un intérêt soudain pour la question. « Déjà début 2000, lorsque j'étais sénateur, j'avais interpellé le gouvernement sur cette question suite à une visite au Congo où j'avais constaté les conditions de vie déplorables des anciens combattants.  » Des vétérans qui recevraient actuellement l'équivalent d'un euro par mois.
Echange de dettes
Une situation dont les causes remontent à la fin des années 1970. La Belgique avait conclu avec le président Mobutu un accord prévoyant l'annulation d'une dette zaïroise en matière de télécoms, contre une reprise par Kinshasa de la charge des retraites à ses anciens combattants. En 1990, toutefois, la Belgique avait versé en complément un fonds de pension au Zaïre. Une manne financière dont les anciens combattants n'ont jamais vu la couleur. « La Belgique estime qu'elle a fait ce qu'elle devait faire, constate Dallemagne. Si elle avait versé elle-même les pensions, elle aurait toutefois dû dépenser bien plus. Or le gouvernement belge de l'époque savait pertinemment que Mobutu allait tout garder pour lui. Verser leurs pensions à ces anciens serviteurs de notre pays serait donc une bonne façon de rompre avec cette hypocrisie.  »
Une réflexion qui irrite du côté du ministère de la Défense. « Contrairement à ce qu'on pense, assure Nick Van Haever, porte-parole du ministre Flahaut, la Belgique se préoccupe toujours de la situation sociale particulièrement délicate des anciens soldats.  » Depuis fin 2004, le ministère assure un appui médical à ses anciens combattants, notamment par l'envoi de médicaments et la visite trimestrielle de médecins belges. Et Nick Van Haever de rappeler que les vétérans congolais ont même été récompensés symboliquement pour leur engagement, en se voyant « honorés de façon extraordinaire par Sa Majesté le Roi en personne, le 21 juillet 2005.  » A cette occasion, la question de la participation belge à ces pensions avait d'ailleurs été posée. Pour être jugée définitivement réglée.
Une position définitive ? Bob Kabamba, politologue à l'Université de Liège, pense qu'il est tout à fait justifié, moralement, de rouvrir le dossier. Et « si le prochain gouvernement congolais met ce sujet sur la table, il y a de fortes chances pour que les autorités belges ne puissent y échapper », parie Bob Kabamba.
Reste à voir si la Belgique pourrait y mettre les moyens. Georges Dallemagne y croit : « On pourrait imaginer que la Belgique contribue conjointement avec le Congo à ces pensions. En versant par exemple une participation équivalente à ce qu'elle aurait dû verser pendant toutes ces années.  » Cet engagement paraît d'autant plus viable que, des 10. 000 à 12. 000 Congolais ayant servi dans les rangs de l'armé belge, il resterait, selon le professeur Kabamba, « une centaine de survivants ». Ce ne serait pas cher payé pour une lourde dette morale».

La réponse du ministre Flahaut (Le Soir, 28.09.2006, p.16):

Interrogé par nos soins, le ministre de la Défense André Flahaut a réagi aux propos de Georges Dallemagne. « On dirait qu'il est absent depuis quelques années, un peu comme Hibernatus, et qu'il revient juste avant les communales. S'il lisait les journaux, il saurait que nous faisons beaucoup pour les anciens combattants. (. . . ) Un gouvernement précédent a versé à Mobutu une somme pour qu'il gère lui-même les pensions. Une somme qui s'est perdue. Après, on a demandé aux autorités congolaises de constituer une liste qui identifie les anciens combattants. Mais cela prend du temps. Une fois que ce sera fait, on avisera de l'opportunité de verser ces pensions.  »

Ouvrages de références: Ndaywel è Nziem, I. Histoire générale du Congo. De l'héritage ancien à la République Démocratique. Paris/Bruxelles: Duculot, 1998; et Le Congo belge durant la seconde guerre mondiale. Belgique: Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer, 1983.